III
David, les mains sur les épaules de Rosaleen, posait un regard tranquille et résolu dans les yeux de la jeune femme.
— Je te répète que tout ira bien. Seulement, il ne faut pas perdre la tête et il faut faire exactement ce que je te dis.
— Mais, si on t’arrête, David ? Tu m’as dit toi-même que ça pouvait arriver ?
— C’est possible, en effet. Mais ce ne serait pas pour longtemps. Si tu ne t’affoles pas, bien entendu.
— Je ferai ce que tu me diras de faire, David.
— C’est comme ça que je t’aime ! D’ailleurs, ce n’est pas compliqué. Il s’agit simplement de t’en tenir à ce que tu as dit : le mort n’est pas ton premier époux.
— Mais ils me tendront des pièges pour m’amener à me contredire !
— Je ne crois pas ! Je te le répète, tout va bien !
— Moi, j’ai plutôt l’impression que tout va mal. Nous prenons de l’argent qui ne nous appartient pas, David, et cette idée-là me tient éveillée des nuits entières. C’est Dieu qui nous punit.
Le visage durci, il la regardait. Aucun doute, elle flanchait. Indiscutablement. Elle avait toujours eu des préjugés religieux et jamais sa conscience ne l’avait laissée tranquille. À moins qu’il n’eût beaucoup de chance, elle « se dégonflerait » complètement. Il n’y avait qu’une chose à faire.
— Dis-moi, Rosaleen, demanda-t-il d’un ton très doux, tu veux que je sois pendu ?
— David !
— Il n’y a qu’une personne qui puisse me faire pendre… et c’est toi ! Si tu admets jamais, d’un regard, d’un signe ou d’un mot, que le mort pourrait être Underhay, tu me passes la corde au cou. Tu comprends ?
Le coup avait porté. Elle le contemplait, les yeux agrandis d’horreur.
— Mais je suis si bête, David !
— Tu n’es pas bête du tout et la chose ne demande pas tellement d’intelligence. Tu auras à jurer que le mort n’est pas ton mari. Tu peux faire ça, non ?
Elle répondit oui d’un signe de tête.
— Aie l’air stupide, si tu veux, reprit-il. Fais semblant de ne pas très bien comprendre ce qu’on attend de toi, ça ne peut pas nuire. L’essentiel, c’est de ne pas varier sur les points que nous avons examinés ensemble. Gaythorne t’assistera. C’est un excellent avocat… et c’est pour cela que je l’ai choisi. Il sera à l’enquête et veillera à ne pas te laisser bousculer. Mais, même vis-à-vis de lui, tiens-t’en à ton histoire. Surtout, n’essaie pas d’être très forte et ne va pas croire que tu pourrais arranger les choses en manœuvrant à ton idée.
— Je ferai exactement ce que tu m’as dit, David.
— Bravo ! Quand tout sera terminé, nous partirons. Le midi de la France, l’Amérique, nous verrons… En attendant, soigne-toi ! Fais de bonnes nuits et ne te tracasse pas ! Prends ces cachets que le docteur Cloade t’a ordonnés – un chaque soir, pas plus – ne t’en fais pas et dis-toi que les beaux jours ne sont pas loin.
Après avoir jeté un coup d’œil à sa montre, il ajouta :
— Là-dessus, il est temps de partir, l’enquête est prévue pour onze heures…
Il promena son regard autour de la pièce : un salon luxueux, riche et confortable. Il avait eu plaisir à y vivre. Allait-il le quitter pour toujours ? Il s’était mis dans une situation terriblement difficile. Mais il ne regrettait rien. Et, pour l’avenir, il continuerait à prendre des risques. « Il nous faut saisir le flot quand il nous est favorable ou perdre notre vaisseau. »
Il se tourna de nouveau vers Rosaleen. Répondant à la question muette qu’il lisait dans ses yeux, il dit :
— Non, Rosaleen, ce n’est pas moi qui l’ai tué ! Je te le jure sur tous les saints du calendrier.